Journées d’étude InVisu 2021

Que les contours en aient été déterminés par les réformes ottomanes du XIXe siècle, par la colonisation européenne, par les conditions de la Guerre froide et/ou celles de la décolonisation, les mondes de l’art du pourtour sud et est méditerranéen sont le produit à la fois d’interactions supranationales et d’enracinements locaux variés, qui se sont matérialisés par toutes sortes d’innovations et d’hybridations, d’échappées particulières et de dyschronies.

Deux façons de regarder ces mondes de l’art, et plus largement les cultures visuelles qui les traversent, coexistent sans grand contact entre elles. La première, nourrie de théorie postcoloniale ou décoloniale, et généralement située du côté européen du bassin méditerranéen, les considère sous domination occidentale et les analyse à l’aune quasi exclusive de ce prisme, tandis que la seconde, partant de l’autre rive et généralement porté par l’idéal national, privilégie une analyse internaliste, quitte à laisser de côté les linéaments qui inscrivent œuvres et auteurs dans des géographies plus vastes et des réseaux plus globaux.

Ces journées d’études, centrées sur des travaux doctoraux et post-doctoraux en cours, se veulent l’occasion d’explorer d’autres perspectives, et en particulier celles qui tentent de tenir ensemble proximité du terrain et relation au monde extérieur, dans une approche ouverte aux interactions et à la multipolarité, sans ignorer pour autant les difficultés méthodologiques ainsi soulevées. La rencontre se donne en outre pour objectif de transgresser les approches conventionnelles par médium qui segmentent et obscurcissent les problématiques communes à l’ensemble de ces mondes et de ces cultures, qu’il s’agisse d’architecture, de peinture, de photographie, ou désormais d’art numérique.

Informations pratiques

Première journée du 6 avril 2021 (9h45-17h) en ligne

Deuxième journée du 1er juillet 2021 en ligne et présentiel

  • INHA, Galerie Colbert
    2, rue Vivienne – 75002 Paris

#1 Journée du 6 avril 2021

9h45 : Introduction générale 

10h-13h : Captations photographiques
Discutant : Manuel Charpy

Claudine Piaton, Des intérieurs européens dans l’isthme de Suez (1890-1930)

En s’appuyant sur deux collections de photographies amateurs léguées par des ingénieurs de la Compagnie de Suez et représentant leur résidence à Port-Saïd et Ismaïlia au début du XXe siècle, il s’agit de questionner le décor et les objets qui peuplent leurs intérieurs. Que nous apprennent-ils des propriétaires et de leur rapport à l’Égypte, à l’Europe et au-delà ? En quoi rendent-ils compte de réseaux de production et de diffusion ?

Ece Zerman, Photographies d’intérieurs ottomans: mise en scène de la vie privée ?

À partir d’une série de photographies du début du XXe siècle, cette intervention propose une discussion sur un rapport nouveau à l’espace intérieur. Celui-ci devient alors un lieu où s’inscrivent les transformations sociales et politiques qui marquent l’Empire ottoman tardif et la Turquie républicaine. À travers les photographies qui captent un moment donné de cet espace, il devient possible d’observer les façons dont les contemporains ont voulu s’y représenter. On peut ainsi suivre certains éléments d’un nouveau mode de vie, allant du mobilier à une imagerie en circulation globale, des relations familiales aux loisirs. Ce sera l’occasion enfin de questionner les limites méthodologiques que pose l’étude d’une documentation dispersée.

Mercedes Volait, Des séances photographiques chez le cheikh al-Sadate au Caire (1868-années 1890)

L’une des grandes résidences les plus photographiées du Caire aux premiers temps du médium était habitée par le chef d’une puissante confrérie soufie, aujourd’hui disparue. La maison figure aussi dans les aquarelles et les tableaux de plusieurs artistes britanniques. À travers cette documentation visuelle, croisée aux quelques sources écrites dont on dispose à son endroit, l’intervention tentera de mettre en lumière ce qu’épreuves et dessins laissent voir de la relation nouée à la photographie, et du monde ainsi représenté.

14h00-17h00 : Matérialité de l’architecture
Discutant : Ronan Bouttier

Mohammed Hadjiat, Une histoire des ouvriers de la construction durant la période coloniale en Algérie (1830 – 1930).

Si le contingent du génie militaire suffit à répondre aux besoins en main d’œuvre pendant les premières années de la colonisation, l’expansion coloniale amène les autorités françaises à solliciter d’autres forces ouvrières dans les chantiers de construction et de restauration. Dans un contexte d’abaissement des coûts de construction et d’une politique de colonisation, l’analyse des mémoires de travaux questionnera les transferts techniques et l’évolution de la rémunération entre ouvriers dits indigènes et européens, militaires et détenus.

Naby Avcioglu, La Mosquée émancipée : le cas de Sancaklar à Istanbul

La mosquée Sancaklar, inaugurée en 2014 dans un secteur rural d’Istanbul donnant sur la mer de Marmara, est une manifestation de résistance à l’identité musulmane nationaliste encouragée par l’islamisme turc. Son « vernacularisme » moderne (lié à la spécificité du site) se veut une réaction aux modèles officiels de mosquées standardisées propagés par le gouvernement turc depuis 2002, ainsi qu’à leur visibilité proéminente dans l’espace public à des fins d’influence économique, sans aucune considération pour la matière, la topographie, l’histoire ou l’environnement. L’intervention s’intéressera à la façon dont l’architecture de Sancaklar détache la religion de l’abstraction de la politique pour revenir à des questions de spiritualité et de subjectivité.

Ill. : la mosquée Sancaklar à Istanbul, 2018.

#2 Journée du 1er juillet 2021

10h-12h  Des arts et des lettres
Discutant : Alain Messaoudi

Brenda Segone, Regards d’artistes sur l’Occident dans l’Égypte moderne

La présentation abordera trois voyages en Occident. Deux sont entrepris par des peintres, Mohamad Naghi (1888-1956) et Hrant Keshishian (né en 1947), alors que le troisième est un voyage à Londres déconstruit par Waguih Ghali (années 1920-1969) dans le roman Les Cigarettes Égyptiennes (1964). Il s’agit d’examiner le rôle de ces voyages sur l’évolution artistique et la réflexion plastique de créateurs égyptiens issus de trois générations et milieux différents. On y gagne un aperçu des types de regard que peut porter sur l’Europe et les Européens l’artiste égyptien de la période postcoloniale. La démarche s’inscrit dans une tendance plus générale qui consiste à aborder les modernités non européennes sous un angle nouveau, appelé diversement « modernisme global » ou « pensée moderne décentrée » ou encore « modernités plurielles ».

Lydia Haddag, Collaborations entre peintres et poètes : le cas du collectif « Aouchem » 

Il s’agit de présenter le collectif algérois « Aouchem » [Tatouages] qui s’est constitué à partir de la publication d’un manifeste en 1967, en opposition à la politique culturelle officielle algérienne. Le collectif se présentait comme « avant-gardiste » et était notamment engagé contre la spécialisation dans l’art. La présentation de ce groupe insistera sur le travail de collaboration des peintres et des poètes à travers trois types d’œuvres collectives : une œuvre plastique commune, un recueil de poésie illustré et un catalogue d’exposition.

13h-15h Art et politique
Discutante : Mercedes Volait

Nadine Atallah, Peindre et exposer la polygamie en Égypte. Analyse croisée de La quatrième épouse d’Inji Efflatoun (1951) et des Deux épouses de Gazbia Sirry (1953)

La quatrième épouse et Les deux épouses furent peintes respectivement par Inji Efflatoun (1924-1989) et Gazbia Sirry (1925) en 1951 et 1953. Ces tableaux, sur et contre la polygamie, s’attaquent à un sujet peu représenté dans l’histoire de l’art. L’analyse croisée met en lumière deux façons différentes de dénoncer cette pratique, longtemps combattue par les mouvements féministes égyptiens. Elle révèle aussi la conception divergente que ces artistes, parmi les plus renommées de la modernité égyptienne, ont de la peinture et de son rôle social. En resituant les tableaux dans leurs contextes de production, d’exposition et de réception, il s’agit de montrer comment Sirry développe un usage subversif du style pharaonique, et comment Efflatoun manipule la signification de son œuvre pour assurer une plus large diffusion de son message politique.

 Rayane Al-Rammal, Modes de production et de circulation de l’artivisme sur internet : sphère publique virtuelle, contestation d’autorité et curation numérique sur Instagram de l’art révolutionnaire du soulèvement libanais (depuis octobre 2019)

L’intervention  abordera les deux aspects de la production et de la circulation des modes d’expression artistiques numériques sur Instagram qui ont été suscités et inspirés par les soulèvements libanais récents et en cours. Tout d’abord, il s’agit d’étudier quelques aspects de la production des travaux d’artistes engagé(e)s. Ensuite, et afin de comprendre comment celle-ci circule, sera examinée la façon dont une page d’art virtuelle populaire Art of Thawra (re)-présente ces œuvres et les recadre avec des hashtags spécifiques, tout en explorant les dissonances potentielles qui pourraient survenir dans ce processus.

15h30-18h : Exposer et acquérir
Discutante : Marine Kisiel

Emma Giraudeau, La Biennale d’art contemporain d’Istanbul : fonctionnement et implication politique du principal festival culturel de Turquie à travers les éditions de 2013 et de 2019

Depuis 1987, se tient tous les deux ans la Biennale d’art contemporain d’Istanbul. Elle a été mise en place par IKSV, la Fondation pour l’art et la culture d’Istanbul créée à l’initiative de la famille Eczacıbaşı. Au-delà de son importance d’un point de vue artistique et esthétique, la Biennale est un événement qui permet à des acteurs privés de réaffirmer leur position politique, souvent en contradiction avec l’idéologie gouvernementale.

Nabila Metair, Artistes, territoires et imaginaires arabes dans la collection du Frac Centre-Val de Loire

Depuis la création des fonds régionaux d’art contemporain en 1982, la collection du Frac-Centre Val de Loire s’est spécialisée dans les mouvements radicaux d’expérimentation en art et en architecture. Elle s’est par la suite élargie à des territoires extra-européens. Depuis 2015, l’Afrique, les mondes arabes et l’Amérique Latine ont ouvert de nouvelles perspectives de programmation avec comme point d’orgue La Biennale d’architecture d’Orléans de 2019. L’intervention discutera les expositions qui s’en sont suivies, de Mes réalisations parleront pour moi (2019), à propos de Fernand Pouillon, à L’étrangère sur Terre (2019) conçue par Nora Akawi, et à Alger, archipel des libertés (2021) dédiée à des mémoires collectives et intimes, issues du désir de liberté et des luttes pour l’émancipation, du festival panafricain (1969) au Hirak (2019) en passant par le combat féministe.

Victorine Grataloup, Artistes du Maghreb, du Machrek et de la Péninsule arabique dans la collection du Centre national d’arts plastiques : éléments d’analyse quantitative et qualitative

Parmi les 296 œuvres d’artistes ressortissant·e·s de pays du Maghreb, du Machrek et de la Péninsule arabique que compte la collection du Cnap (chiffre d’octobre 2019), on note une surreprésentation statistique des artistes issu·e·s d’anciennes colonies ou protectorats français : si le Cnap a l’ambition déclarée de « rend[re] compte de la diversité des pratiques artistiques, toutes nationalités confondues » ce n’est donc pas sur le modèle de la collection à visée universelle mais en tenant compte de l’inscription de la France dans une histoire spécifique, celle d’une ancienne puissance coloniale entretenant des rapports diasporiques et diplomatiques complexes avec plusieurs pays arabes. L’étude du corpus sera quantitative mais aussi qualitative, par le biais d’entretiens et d’une méthodologie issue de l’ethnographie compréhensive, visant à rendre compte des représentations en jeu derrière chacune des acquisitions.

Ill. : les membres fondateurs d’Aouchem lors de la première exposition du groupe en 1967.
De gauche à droite : Choukri Mesli, Mustapha Adane, Saïd Saidani, Mohamed Benbeghdad et Denis Martinez.
Source : fonds Mustapha Adane, licence Creative Commons

       

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