L’Isthme de Suez : un espace inventé aux confins de l’Egypte (2008-2011)


Le projet de recherche pluridisciplinaire « Isthme » est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) pour une durée de 3 ans (2008-2010). Il a été prolongé jusqu’en 2011.

Le projet porte sur l’appropriation et la transformation d’une vaste portion du territoire égyptien (l’isthme de Suez) par une entreprise privée à capitaux européens, au temps de la première mondialisation. La Compagnie universelle du Canal de Suez, entre 1859, année du premier coup de pioche du canal des deux-mers et sa nationalisation en 1956, a créé et administré, aux confins du pays, de gigantesques ouvrages d’art (canaux et installations portuaires), trois villes nouvelles (Port-Saïd, Ismaïlia et Port-Tawfiq) et des domaines agricoles gagnés sur le désert, et totalement transformé, par cette intervention, l’écologie de la région.
C’est cette recomposition radicale que le projet se propose d’étudier, en mettant la documentation historique collectée à l’épreuve du terrain, afin de démêler la part des intentions (premières), des réalisations (effectives) et des domestications (dans le temps) des ouvrages étudiés (villes, découvertes archéologiques, aménagements hydrauliques et agricoles). Des outils de traitement et de gestion des données collectées seront mis au point à cet effet.

Bouée sphérique de balisage du canal, Port-Saïd (1905-1909),

Coupe de l’Isthme de Suez selon la ligne de communication directe avec projection des montagnes du désert à l’Ouest de l’Isthme, 1859, aquarelle 26 x 91,5 cm, Bibliothèque Nationale de France

Source : Bibliothèque nationale de France, département Arsenal, FE ICONO-70 

Orientations de recherche

La recherche comporte trois volets imbriqués :

Le premier concerne l’urbanisme concessionnaire, l’architecture patronale et la construction privée dans les villes du canal de Suez. Il s’agit d’analyser les pratiques concrètes de construction marquées par l’interaction de normes et de doctrines européennes avec des réalités locales. Le cœur chronologique de l’enquête porte sur les années 1859-1956, sans pour autant négliger les transformations architecturales qui sont intervenues par la suite. Le bâti historique existant sera ainsi confronté aux données historiques issues des sources identifiées en France, en Égypte et en Europe.

Phare, construction industrielle, (1869-1870), François
Coignet

Le second volet porte sur l’appropriation archéologique et culturelle de l’isthme. La Compagnie Universelle du Canal Maritime de Suez s’est en effet impliquée dès l’origine dans l’organisation de fouilles archéologiques, la construction de musées comme de représentations de l’Égypte ancienne dans les Expositions universelles. Son président-fondateur Ferdinand de Lesseps a favorisé une collecte des trouvailles faites pendant les travaux de creusement et la Compagnie a vu passer en son sein bon nombre d’érudits autodidactes, à l’origine de société d’études, cercles, collections et présentations d’objets relatifs à l’histoire et à la géographie de l’isthme. La plupart de ces collections ont ensuite pris le chemin de l’Europe. La Compagnie a également financé des fouilles officielles sous la tutelle du Service des Antiquités de l’Égypte, et créé un musée archéologique à Ismaïlia. Il s’agit d’étudier la contribution de la Compagnie et de ses personnels à la connaissance de l’isthme, et plus largement de l’Égypte, à l’écriture de son histoire archéologique et naturelle, le cas échéant anthropologique.

Le troisième volet s’intéresse à l’extension de l’espace égyptien du point de vue des équipements hydrauliques et agricoles. Il situera les travaux d’adduction d’eau dans cette partie de l’Égypte par la Compagnie dans une perspective historique, du « canal de Trajan » aux travaux d’irrigation engagés sous Muhammad Ali. Il analysera la dimension novatrice des travaux d’approvisionnement en eau douce menés par la Compagnie et le transfert d’expériences hydrauliques étrangères. Outre la constitution d’un nouveau paysage agraire, les travaux hydrauliques de la Compagnie ont été exploités à des fins agricoles. Cette dimension a connu un intérêt renouvelé dans le contexte de la guerre de Sécession, avec le boom du coton, qui a fait de cette production agricole la première richesse du pays. La rétrocession précoce à l’Égypte des concessions foncières octroyées à la Compagnie montre l’intérêt partagé de la mise en valeur du désert. Une partie des recherches visera à replacer les créations agricoles liées au Canal dans le cadre plus général de l’expansion agricole de la Grande-Bretagne et de la France afin de déterminer les modalités de la diffusion du modèle triomphant du high farming, à travers les publications mais aussi par l’implantation de fermes ou domaines modèles.

Cette enquête se positionne au croisement d’une perspective d’histoire du monde arabe contemporain et d’une perspective d’histoire coloniale, avec la visée d’aller au-delà des théories dominantes dans chacun de ces champs disciplinaires. Il éclaire un pan majeur tant de l’histoire française, égyptienne que méditerranéenne.

 

Carte générale de l’isthme de Suez, 1870, Erhard Schièble, Georges (1821-1880). Graveur, Bibliothèque Nationale de France

Source : Bibliothèque nationale de France, département Cartes et plans, GE D-27950

       

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